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Vendémiaire

Blog d'actualité politique

Brésil / Soyons réalistes, réalisons l’évident

Publié le 22 Juin 2013 par Vendémiaire in Amérique du Sud et Centrale

Il est clair que si nous pouvons construire des stades, nous pouvons inverser les priorités pour financer les transports collectifs. Si nous sommes en capacité d’avoir des stades de haut niveau, nous pouvons alors avoir aussi des transports de haut niveau. La question évidente, encore une fois, est qui peut et qui doit payer l’addition ; combien ça va coûter et qui va financer.

En mai 68, les jeunes Français qui dressaient des barricades avaient parmi leurs slogans celui-ci : “soyons réalistes, exigeons l’impossible !”. Lors d’une manifestation, l’Université de Paris, avec l’aval du gouvernement, avait désigné le sociologue Alain Touraine comme médiateur. Touraine avait posé ces deux questions : qui est votre leader et que voulez-vous ? L’intérêt de ces deux questions est de révéler la totale surprise et la prostration de beaucoup de gouvernants confronté à l’inconcevable, leur perplexité quand leur font face des gens qui exigent « l’impossible » ou qui s’affirment « contre tout et contre tous ».

Mais plus incroyable encore est le fait que l’objectif de réduire le prix des transports collectifs soit devenu quelque chose « d’impossible ». En réalité, dans beaucoup de villes brésiliennes, le prix des transports collectifs a baissé. En effet, cela signifie que dans plusieurs villes brésiliennes, la décision du gouvernement fédéral de supprimer certains impôts qui pesaient sur les transports collectifs a eu un effet rapide et immédiat, mais pas dans les capitales d’États. Dans certaines, c’est même par voie de justice que cette réduction est imposée.

Mais comme le Gouvernement Fédéral n’a pas imposé aux collectivités de contreparties plus spécifiques au bénéfice de ces réductions d’impôts qui auraient même, le cas échéant, pu contribuer à la lutte contre l’inflation, l’opportunité offerte par cette réduction d’impôts a été engloutie par les exécutifs des États et des villes. Certains ont justifiés des choix privilégiant l’amortissement des investissements. Mais ça n’est assurément pas avec l’argent de la PIS/Cofins et de la CIDE (Contribution à l’Intervention dans le Domaine Économique) – impôts dont une partie revient aux collectivités, ndt) que cela aurait du être fait.

Les données fournies par la Direction des Transports de São Paulo montrent que, depuis 2004, le nombre d’autobus à São Paulo a diminué, pendant que le nombre de passagers augmentait de près de 80%. Cette période couvre la dernière année de l’administration municipale du PT et traverse toute la durée de l’ère Serra-Kassab (élus de droite, ndt) à la direction de la municipalité de São-Paulo. La situation est probablement la même dans plusieurs autres villes, ce qui montre très clairement comment la question des transports collectifs a été méticuleusement instrumentalisée lors de la dernière décennie pour déboucher sur une situation explosive. Mais au stade où nous en sommes, peu importe de rechercher maintenant qui en porte la responsabilité.

L’émergence des mouvements de contestation quant au prix des transports collectifs urbains coïncide avec la tenue de la Coupe des Confédérations (Grand tournoi international de football entre sélections nationales, ndt), ce qui n’a fait que mettre en exergue de façon cruelle le contraste entre les somptueux investissements dans des stades qui ont tous été livrés dans les temps et le retard dans les travaux relatifs aux déplacements. Les scènes vécues à Recife, avec des supporters uruguayens et espagnols indignés par la réalité des transports collectifs – bus et métro -, ont souligné à quel point la vraie carte de visite du Brésil auprès des supporters étrangers ne réside plus dans le stade et l’aéroport mais dans les transports collectifs urbains. Les capitales d’États disposent d’un an pour redéfinir leurs plans et accélérer la conclusion des grands plans d’aménagement urbain. De préférence, avec des machines travaillant dès l’aube, comme cela a été le cas pour la construction des stades.

Ces manifestations coïncident également avec la période où se tiennent les conférences d’État dans les villes (processus participatif de consultation des populations et des élus locaux entamé en 2009 où sont débattus, à partir d’un texte commun défini au niveau fédéral qui peut être amendé et modifié lors de ces consultations, les grands choix d’aménagement et d’équipements, ndt). Elles sont censées se tenir de juillet à septembre. Les Mairies et les gouvernements d’État, outre ces espaces de négociation qui s’ouvrent, devraient plutôt mobiliser leurs énergies pour montrer que ces conférences peuvent être l’occasion non seulement de débattre des tarifs des transports collectifs mais aussi du droit à la ville. Dans certains cas, anticiper la date de leur tenue pourrait se révéler une bonne mesure témoignant de la volonté des exécutifs d’approfondir les questions en débat.

Ou ce débat lors des conférences est abordé de façon franche et ouverte par les dirigeants des gouvernements d’État, ou la rue restera le cadre de la tenue de la plus grande des conférences dans chacune de ces villes.

Hélas, dans une action digne du Delirium Football Club, le Ministre des Villes n’a rien trouvé de mieux jusqu’à maintenant que de se moquer des manifestants, plutôt que de mettre à profit cette vague de protestations comme un encouragement pour déclencher un débat sur les politiques publiques dans son domaine.

L’autre mesure évidente pourrait s’inspirer du vieil axiome qui conseille de transformer une crise en opportunité. Les gouvernements d’État disposent d’un peu plus d’un an et demi pour mettre en œuvre la politique nationale de mobilité urbaine. Approuvée en 2012, la Loi sur la Mobilité est le fruit d’un débat qui a été obstrué au Parlement pendant près d’une décennie (Loi qui réglemente les politiques de déplacement, les pratiques de transports collectifs et les droits des usagers, etc., ndt). L’obligation légale imposée pour la mise en œuvre de cette loi est devenue une urgence politique.

La Loi sur la Mobilité constitue une opportunité pour les gouvernements d’État de reformuler leur politique de financement des transports afin maintenant de militer ouvertement pour une politique de soutien financier et de sauvegarde des entreprises publiques de transport. Il est clair que si nous pouvons construire des stades, nous pouvons inverser les priorités pour financer les transports collectifs. Si nous sommes en capacité d’avoir des stades de haut niveau, nous pouvons alors avoir aussi des transports de haut niveau. La question évidente, encore une fois, est qui peut et qui doit payer l’addition ; combien ça va coûter et qui va financer.

Un tel enjeu n’implique pas seulement de débattre sur de nouvelles sources de financement mais aussi de prendre des engagements dans le sens de l’ouverture de la boîte noire des transports collectifs. Dans trop de cas, le cartel des transports collectifs s’est transformé depuis longtemps en mafia. Il serait bon que beaucoup de Maires et de Gouverneurs se dépêchent d’ouvrir leurs livres de compte avant qu’ils y soient contraints ou par les manifestations, ou par voie de justice, ou par les Cours des Comptes, ou plus probablement par tous ces facteurs à la fois. Il ne doit subsister aucune ombre sur les rapports des Maires et Gouverneurs avec les entreprises de transport, ni sur l’utilisation des fonds destinés à cet effet.  

Au point où nous en sommes, pour plus paradoxal que cela puisse paraître, il convient de partir de l’évident pour aller vers l’improbable. Il incombe aux gouvernements d’État, plus qu’aux manifestants, d’organiser le débat. À ceux-ci revient le rôle très salutaire de remettre le débat sr ces pieds.

 

Antonio Lassance - 18/06/13

Antonio Lassance est politologue, chercheur à l’Institut de Recherche d’Économie Appliquée (IPEA).  

http://www.cartamaior.com.br/templates/colunaMostrar.cfm?coluna_id=6146

 

Traduction Pedro DA NOBREGA

 

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