Pologne: la lettre qui secoue l’Eglise

par Amélie Bonnet (source: wyborcza.pl, rp.pl)

La lettre envoyée par le père dominicain Ludwik Wisniewski en septembre dernier au représentant du Vatican en Pologne, et publiée le 14 décembre par le quotidien Gazeta Wyborcza, secoue l’Episcopat polonais. Le père Wisniewski y dresse un diagnostic sévère de l’état de l’Eglise polonaise. Parmi la liste des «fautes» du clergé, le soutien que certains de ses représentants apportent à des initiatives «formellement catholiques», mais en réalité «païennes», «envenimant et divisant la société et l’Eglise elle-même». Une partie des évêques publient ainsi dans Nasz Dziennik (quotidien ultracatholique, propriété du père Tadeusz Rydzyk), qui, selon l’auteur, abonde en propos diffamatoires. A certains, le père Wisniewski reproche également leur soutien aux protestations «irrationnelles» des «défenseurs de la croix» devant le Palais présidentiel, à Varsovie, suite à la catastrophe de Smolensk.

Le père Wisniewski écrit en outre que la moitié des prêtres de Pologne est «infectée par la xénophobie, le nationalisme et un antisémitisme intériorisé», et que pour beaucoup d’entre eux la frontière entre le religieux et la politique n’existe plus. Il dénonce les interventions à caractère politique au cours des homélies, les soutiens ou critiques formulés par les prêtres à l’égard d’hommes ou de partis politiques. La lettre évoque également la question de Radio Maryja (autre propriété du père Rydzyk), que l’Episcopat ne parvient pas à régler, alors que cette radio diffuse des leçons «de fanatisme et d’antipathie, voire même de haine envers ceux qui pensent différemment», selon ses propos. Enfin, le père dominicain dénonce l’incapacité de la hiérarchie catholique polonaise à communiquer avec le monde actuel, en constante évolution.

Les réactions de la hiérarchie et des médias catholiques sont divisées suite à cette lettre. S’il reconnaît le besoin d’examiner de façon plus approfondie la situation de l’Eglise en Pologne, l’archevêque Jozef Michalik, président de l’Episcopat, remet en cause l’objectivité des propos du père Wisniewski. D’autres, comme l’archevêque Jozef Zycinski ou l’évêque Tadeusz Pieronek, approuvent sa volonté de transparence. Cela étant, l’évêque Pieronek estime que les maux de l’Eglise ne sont qu’une partie et le reflet de ceux de la société.

Cette dernière semble de plus en plus critique: selon l’Institut de sondage CBOS, 70% des Polonais déclaraient avoir confiance en l’Eglise en avril dernier, au lendemain du crash de Smolensk. En septembre, suite à l’ingérence de plusieurs membres du clergé dans l’élection présidentielle et le conflit autour de la croix, l’Eglise ne recueillait plus que 50% de confiance, soit une chute des plus brutales au cours des dernières années.

Agé de 74 ans, le père Ludwik Wisniewski, qui exerce aujourd’hui à Lublin, est une figure célèbre de l’opposition au régime communiste du temps de Solidarité: il coopéra avec le Mouvement de défense des Ouvriers (KOR), fut l’un des signataires de la première déclaration du Mouvement de défense des Droits de l’Homme et du Citoyen (créé en 1977), et considéré par la Stasi comme l’un des 60 opposants polonais les plus dangereux. Il a reçu en 2006 la Croix de commandeur de l’Ordre de la Renaissance de Pologne.

Amélie Bonnet

Dépêche publiée le 16/12/2010

Source : RSE http://www.regard-est.com/home/breves.php?idp=1387